DIRK
« That time of year thou mayst in me behold »
L'homme a immédiatement accepté de collaborer à ce projet intime, sans poser de conditions. Pourtant, cela faisait 25 ans que je ne l'avais pas vu.
Son histoire m'appelait depuis longtemps.
En 1995, 3 ans avant son arrestation, j'avais 17 ans lorsque je l'ai rencontré pour la première fois, caché dans le bocage normand. On l'appelait Dirk, mais on le connaissait ailleurs sous le nom de Hans-Joachim Klein (HJK), un terroriste repenti. Mis en sécurité et protégé par un réseau d'amis, d'intellectuels allemands et français, il se faisait passer pour un journaliste de Der Spiegel et travaillait dans une petite ferme. Même si l'on n’en parlait peu, son passé était connu de quelques personnes.
Dans les années 1970 et 1980, Klein appartient aux Cellules révolutionnaires (Revolutionare Zellen) qui organisent des actions de guérilla urbaine d'extrême gauche en Allemagne de l'Ouest. Il soutient les militants de la Fraction armée rouge (RAF) et mène des actions terroristes avec la Bande à Baader. La mort d'un de ses membres à la suite d'une grève de la faim à la prison de Stammheim en 1974 marque un tournant dans la violence de l'engagement de Klein. En 1975, il participe avec le terroriste Illitch Ramirez Sanchez, alias Carlos, à la prise d'otages à Vienne de 66 personnes lors de la conférence des ministres de l'OPEP. Trois personnes perdent la vie et Klein, grièvement blessé d'une balle dans l'estomac, parvient à s'enfuir avec le commando vers l'Algérie.
En 1977, HJK décide de quitter le terrorisme et envoie à Der Spiegel, son arme personnelle et ses empreintes digitales, accompagnées d'une lettre expliquant les raisons de son départ. Protestant contre l'antisémitisme dans le terrorisme international, il dénonce un projet d'attentat contre deux responsables de la communauté juive de Berlin et de Francfort. Commencent alors 20 années de clandestinité, au cours desquelles, tout en fuyant la police et ses anciens camarades, il tente de se construire une nouvelle vie. Finalement arrêté en 98, il est extradé en Allemagne, jugé et condamné à 9 ans de prison. Libéré en 2003, il retourne dans son village normand.
Il a finalement été gracié en 2009. A 74 ans, dans les cendres de sa jeunesse se mêlent ses utopies, la mort de ses idéaux, sa révolte, sa solitude, son orgueil, son isolement... J'ai pensé que la fin de sa vie méritait d'être racontée. Elle nous interroge sur le temps qui passe, sur la résilience ainsi que sur le pardon, parfois impossible à s’accorder à soi-même.
A travers mes photographies, je cherche à questionner le regard que nous sommes capables de porter sur l'humanité d'un être qui a commis des actes que la plupart d'entre nous qualifient d'inhumains. Pendant plusieurs mois, j'ai établi une proximité et une confiance qui m'ont permis d'accéder à son territoire intime, sans masque ni vanité. Aidée par son inépuisable volonté de ne pas disparaître, nous avons entamé un voyage ensemble, en nous engageant l'un envers l'autre. Cette série est une invitation à contempler - à travers Dirk - un homme au crépuscule de sa vie.
“That time of year thou mayst in me behold
When yellow leaves, or none, or few, do hang
Upon those boughs which shake against the cold,
Bare ruin’d choirs, where late the sweet birds sang.
In me thou see’st the twilight of such day
As after sunset fadeth in the west,
Which by and by black night doth take away,
Death’s second self, that seals up all in rest.
In me thou see’st the glowing of such fire
That on the ashes of his youth doth lie,
As the death-bed whereon it must expire,
Consum’d with that which it was nourish’d by.
This thou perceiv’st, which makes thy love more strong,
To love that well which thou must leave ere long”.
Sonnet 73 - WSHilliam shakepearShakespeare
William Shakespeare